• La Vasconie, une "république démocratique" au Haut Moyen Âge

    La Vasconie, une "république démocratique" au Haut Moyen Âge

    De récentes études historiques menées notamment par l'historien Mikel Pozo Flores, ont montré que l'émergence historique du Pays Basque au Haut Moyen Âge (duché de Vasconie, puis Royaume de Navarre) pourrait bien avoir été le résultat d'une de ces révolutions sociales de la fin de l'Empire romain que nous avons déjà évoquées dans un précédent article ; mais qui dans les conditions spécifiques de l'endroit aurait ici été menée à son terme, aboutissant à une véritable "république démocratique" médiévale (comme il a pu en exister d'autres par ailleurs, qui trouveront leur place dans la société féodale par des "contrats" avec les princes environnants, on pense notamment à Andorre, aux Escartons des Alpes briançonnaises et à tout ce qui sera qualifié d'"alleux", mais pas dans de telles dimensions) :

    https://lehoinabarra.blogspot.com/2023/10/como-surgieron-los-buruzagis-o.html

    "Aux VIe et VIIe siècles, ne régnaient en Vasconie ni les descendants des dirigeants germaniques (Goths, Suèves ou Francs), ni les héritiers des derniers possesseurs romains, mais les successeurs de chefs (les fameux buruzagis) dont le noyau était les rusticani / bagaudes" ; issus du "peuple des saltus, habitants de la zone forestière et montagneuse de la Vasconie, en dehors des latifundia romaines"...

    En pratique, il se serait agi plus précisément de sortes de miliciens autochtones chargés de sécuriser "la route qui, venant de Bordeaux, se dirigeait vers Astorga. Cette route traversait la région de manière parcours d'environ 150 kilomètres si l'on prend comme référence la hauteur d'Ibañeta à l'est et les Conchas de Arganzón qui ferment la Llanada Alavesa à l'ouest".

    "Autour de cette route s'organisaient les principales structures de l'État impérial, articulées en huit grandes propriétés et les deux villes de Pampelune (Iruñea) et Veleia (Iruña de Oka en Alava, près de Vitoria-Gasteiz), les principaux centres du territoire. Les familles des propriétaires et des dirigeants dont les villae se trouvaient également à proximité avaient probablement leur résidence dans ces dernières".

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    Mais, pour la sécuriser, Rome recrutait donc des "rusticani", "milices locales fortement enracinées dans la communauté dans laquelle elles opéraient, ce qui leur conférait une grande capacité d'auto-reproduction. 

    Les soldats étaient recrutés dans les territoires environnants et avaient donc des relations familiales dans la région. Il était courant que les membres d’une même famille appartiennent à l’armée, puisqu’il existait des lignées militaires. Même leurs dirigeants sont issus de la communauté".

    "Ces soldats et la population partageaient des problèmes et une même culture, qui pouvait également inclure la langue et les coutumes onomastiques. De plus, ils disposaient de mécanismes qui permettaient leur survie, puisqu'ils vivaient des impôts qu'ils collectaient eux-mêmes auprès de leurs compatriotes.  Ainsi, toutes les ressources nécessaires à la formation et au maintien de l’armée provenaient des populations environnantes : nourriture, matériel, main d’œuvre, soldats et dirigeants."

    La Vasconie, une "république démocratique" au Haut Moyen Âge

    C'est alors que commenceront à survenir les événements qui conduiront l'Empire romain d'Occident à sa chute :

    "L'empereur Honorius transfère la capitale de l'Empire à Ravenne et devient Auguste d'Occident en 393 à l'âge de 8 ans. Honorius dut faire face à d'innombrables attaques de la part des peuples « barbares », notamment germaniques (qui franchissent massivement la frontière du Rhin à la fin de l'année 406, notamment). 

    Mais bien plus importante fut la rébellion interne de son général Constantin III, qui se proclama empereur d'Occident en Grande-Bretagne, débarqua avec ses troupes en Gaule puis traversa les Pyrénées et décapitant les frères Dirimus et Virianus, grands propriétaires terriens qui tentaient avec leurs troupes de lui barrer la route à Orreaga-Roncevaux.

    Contre Constantin, l'empereur Honorius dut mobiliser ses armées impériales, qui agissaient avec force. Tout cela se produisit entre les années 407 et 411, lorsque Constantin abdiqua et fut assassiné peu de temps après. (...)

    La Vasconie a été exposée au pillage probable des barbares ainsi qu'aux abus des armées envoyées par Ravenne. Une telle situation d'impuissance initiale pouvait commencer à détériorer l'ordre romain, mais il est très probable qu'il y ait eu des tentatives pour s'adapter au nouveau scénario. 

    L'insécurité a renforcé le poids des  troupes rusticani et burgarii (soldats qui gardent les forts ou castrum) initialement destinées à garder la route Astorga-Bordeaux et l'entrée par les Pyrénées en Hispanie. Après la victoire finale d'Honorius, l'ordre romain fut rétabli dans la région. Il est plus que probable que les rustiques, qui selon les sources étaient les défenseurs traditionnels des cols pyrénéens, furent également rétablis, car ils avaient été efficaces dans leur tâche et ils étaient restés fidèles à l'empereur légitime.

    Mais si l'ordre avait été rétabli en Hispanie, la situation avait radicalement changé du jour au lendemain. Les barbares avaient pris le contrôle du reste des provinces et la Vasconie devint une zone frontalière exposée aux incursions et soumise au mouvement continu des armées. Au fur et à mesure que le Ve siècle avançait, la situation se détériorait et l'Empire devenait de plus en plus faible. Dans ce scénario d'insécurité et d'instabilité, il n'est pas difficile d'imaginer une importance croissante des troupes rustiques. Ce fut un contexte très favorable à l’émergence de dirigeants d’origine militaire, comme cela se produit ailleurs. 

    La présence de plus en plus lointaine de l'État romain avait fait des troupes d'Astorga-Bordeaux une des puissances de terrain, et de leurs dirigeants des autorités locales. C'est alors que les rusticani deviendront les Bagaudes des chroniques romaines, nom dérivé du breton « bagad » qui désigne les « bandes » armées qui parcouraient l'Empire d'Occident et qui en Vasconie étaient depuis lors très nombreuses et puissantes."

    En résumé : ce sont ces miliciens "rustiques", d'extraction populaire rurale-montagnarde, qui mèneront une "révolution bagaude" comme celle que nous avons déjà vue en Gaule ; mais qui ici réussira, et donnera naissance sur un vaste territoire de part et d'autre des Pyrénées occidentales au "duché de Vasconie", en réalité une véritable république démocratique "forale" fondée sur les "fors"/"fueros", lege zaharra en basque : les lois coutumières populaires ancestrales.

    L'archéologie tend à le confirmer, avec des tombes de ces "élites" dirigeantes de l'époque (VIe-VIIIe siècles) "en général modestes, ce qui nous renseigne sur des dirigeants dont l'accès à la richesse était assez limité.

    Les nécropoles basques ressemblent à celles des espaces périphériques des royaumes anglo-saxons (l'ouest du Kent) et les tombes les plus riches sont comparables à celles des Alamans associées à des individus dont le pouvoir dépasse de peu l'échelle locale.

    Nous sommes confrontés à ce que, dans le contexte anglo-saxon des Ve et VIe siècles, on a appelé une flat society, une société sans grandes hiérarchies.

    En Vasconie, il existe une mosaïque de pouvoirs locaux et régionaux, des familles qui ne possèdent pas de vastes propriétés ni de nombreux esclaves et qui, compte tenu de la faiblesse des autres formes de supériorité sociale et des mécanismes internes d'extraction des surplus, tirent surtout de la guerre (on pourrait dire : de la résistance aux volontés hégémoniques des puissances voisines...) leurs ressources et le prestige nécessaire pour maintenir leur position."

    La Vasconie, une "république démocratique" au Haut Moyen Âge

    Ce système politique perdurera lorsque le "duché" se "formalisera", au regard de l'Europe qui l’entoure, en Royaume de Navarre à partir du IXe siècle ; puis, après l'annexion de celui-ci par l'Espagne au XVIe siècle, les monarques de Madrid jureront normalement de respecter ces "fueros", jusqu'à leur abolition dans le courant des réformes modernistes des années 1830.

    De là vient sans doute l'attachement séculaire et bien connu de ce peuple à ses libertés, depuis la dérouillée infligée aux troupes de Charlemagne à Roncevaux en 778 (sa seule défaite en 45 ans de règne...), en passant par la théologie "révolutionnaire" des Jésuites d'Ignace de Loyola et François de Xavier, avec leur "républiques socialistes" auprès des Guaranis du Paraguay aux XVIIe-XVIIIe siècles, la résistance à l'occupation napoléonienne (1808-1813) et les guerres carlistes (des années 1830 à 1870) contre les centralisme espagnol, jusqu'à la lutte contre le franquisme et le mouvement de libération nationale depuis lors.

    Ceci pourrait expliquer, également, le "paradoxe basque" d'une langue pré-indo-européenne chez un peuple à l'une des plus hautes prévalences de R1b indo-européen en Europe (plus de 80%) : ce "paradoxe" s'expliquerait par ce que l'on appelle la thèse de la "revasconisation", certes assez peu prisée dans les milieux nationalistes locaux ; une "revasconisation" = réimposition de la langue basque, précisément par le biais de cette révolution politique et sociale.

    Le "très haut R1b basque" est en réalité composite. Le R1b caractérisé comme ibérique (DF27) s'y élève à 60% et quelques, c'est à dire le taux autrefois "normal" de toute la Péninsule avant qu'il ne soit "dilué" ailleurs par les divers apports phénicien, grec, romain, wisigoth, arabe et berbère (J et E1b1b) etc. etc. Mais s'y ajoute, "faisant la différence", plus de 10% et jusqu'à 15-20% localement de R1b-L21 "celte atlantique", le même que l'on trouve en Bretagne, Écosse, Irlande etc. ; dont la présence pourrait s'expliquer par les liens maritimes des grands ports locaux avec ce Nord-Ouest celtique du continent. Les noms des peuples antiques de ce que l'on appelle aujourd'hui les Vascongadas, la Communauté autonome basque (CAV), avaient des consonances plutôt celtiques : Vardules, Caristes, Autrigones ; le terme même de Vascongadas pouvant s'interpréter comme "vasconizadas" = "basquisées", comprendre : "postérieurement". Les Vascons, qui sont clairement la latinisation de "eusko" = basque, étaient localisés seulement dans l'actuelle Navarre, les régions montagneuses pyrénéennes + le grand port vascon (au nom à consonance indiscutablement basque) d'Oiasso, à l'embouchure de la Bidasoa (actuelle Irun).

    Les R1b-S28 italique et "celte alpin", S21 germanique et à fortiori L23 grec, ainsi que les haplogroupes méditerranéens E1b1b ou J, y apparaissent en revanche dans des quantités négligeables, montrant bien la faiblesse de tous ces apports ultérieurs.

    Le G2a caractéristique du peuplement néolithique anatolien y apparaît également très faible, au contraire de la Sardaigne et de toutes les autres régions montagneuses du continent ; mais il est également rare dans les prélèvements anciens (néolithiques) de la région, comme si de fait, il ne s'y était jamais tellement implanté. Ce qui apparaît significatif, dans ces prélèvements anciens (regarder tous les points jaunes et verts foncés sur cette carte : ADN d'individus entre -4000 et -2000 avant notre ère) comme dans une vaste "poche" ouest-pyrénéenne aujourd'hui, c'est le fameux I2 des chasseurs-cueilleurs préhistoriques antérieurs à la néolithisation anatolienne (l'haplogroupe spécifique I-L158, qui caractérise 40% des lignages paternels en Sardaigne dont nous avons montré les liens génétiques comme linguistiques avec l'Ibérie / Europe du Sud-Ouest néolithique "atlante", se trouve ainsi significativement à près de 10% dans la comarque de Bortziriak au nord de la Navarre, et en Jacétanie dans les Pyrénées aragonaises, et autour de 8% dans le Val d'Aran ou encore en Basse Cerdagne, dans les Pyrénées catalanes...). 

    Il est alors tout à fait imaginable que la langue basque (qui, parente de l'ancien ibère, était très probablement celle de la civilisation mégalithique "atlante" du Néolithique) ait été portée par ces populations montagnardes I2, ainsi que des R1b "ibériques" DF27 ayant pour les mêmes raisons (toujours discutées) qu'ailleurs dans la Péninsule conservé la langue pré-indo-européenne ; populations qui constituaient ces miliciens rusticani gardant la route Bordeaux-Astorga, et qui par leur révolution "bagaude" ici réussie, ont imposé cette langue à des populations des vallées, plaines et littoraux de langue autrefois celtique et (sans guère de doute) devenue romane.

    On sait l'importance de l'Église pour la romanisation linguistique de l'Europe occidentale ; importance supérieure, sans doute même, à celle de la civilisation romaine, qui n'avait probablement pas romanisé la langue au-delà des centres urbains d'une certaine importance. Mais ici, dans le cadre de cette "république vasconne", c'est l'euskara que choisira l'Église pour s'adresser aux masses paysannes et les évangéliser (comme par ailleurs, la langue celtique brittonique en Bretagne, pour le même résultat). 

    Bien sûr, on y parlait aussi une langue romane qui deviendra le roman navarro-aragonais, dans lequel est notamment rédigé le For général (loi coutumière) de Navarre de 1238,  par exemple (et non en basque, hormis quelques mots). Mais dans ce cadre politique qui se perpétuera jusqu'à l'annexion du Royaume de Navarre en 1512, voire jusqu'à la suppression du régime foral au XIXe siècle, pourra survivre une langue originellement parlée par les populations rurales montagnardes dans une beaucoup plus large partie des Pyrénées mais que l'on trouve, par exemple, interdite par décret à Huesca (Aragon) au XIIIe siècle. 

    Le pays euskaldun, car là est la seule définition réelle du Pays Basque : là où l'on parle basque ; a ainsi une existence aux facteurs avant tout politiques (sans oublier la "renaissance" et "nouvelle revasconisation" depuis 1978, dans le cadre des autonomies de la Constitution espagnole post-Franco) ; déconnectée du facteur anthropologique d'une population faiblement indo-européanisée (ce qui n'est pas le cas sauf dans les régions montagneuses pyrénéennes et ce, très vite en allant vers l'Est, indépendamment de ce que la langue y soit aujourd'hui romane - occitane, aragonaise, catalane même, etc. ; car là, ces populations n'ont pas été "protégées" par ce facteur politique de la romanisation "montant" des grandes villes et des plaines).


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